La continuité dans le changement : voilà ce que nous a appris la crise sanitaire en matière sociale.
Car les salariés déjà habitués à travailler ensemble n’ont pas connu de grandes difficultés à passer à la viséoconférence ou à la conférence téléphonique, en bousculant parfois les processus officiels avec des groupes WhatsApp informels mais plus réactifs.
Idem en matière collective, qu’il s’agisse de consultation du Comité Social et Economique (CSE) ou de négociation avec les délégués syndicaux. Quand les relations sociales reposaient sur la confiance, le dialogue social s’est poursuivi, parfois même amélioré : 9 000 accords d’entreprise directement liés à la crise ont été signés en 2020, avec en mai 2020 des plans de déconfinement co-construits.
Si à l’inverse les relations sociales étaient tendues, la crise sanitaire a souvent cristallisé ces tensions, les deux parties se retrouvant alors devant le Tribunal Judiciaire pour trancher leurs différends.
Et comme en matière de télétravail, nombre de blocages sont tombés.
Côté entreprise, combien de directeurs des relations sociales auraient imaginé il y a un an pouvoir réunir exclusivement à distance leur CSE et ses nombreux membres ? Or si les délégués étaient bien équipés en matière informatique, et que les échanges intervenaient en viséoconférence avec caméra ouverte, les réunions, souvent plus nombreuses, ont pu être normalement menées. Avec parfois une efficacité supérieure au présentiel : car en période de grave crise où il faut décider rapidement, les postures et les longs préambules passent beaucoup, beaucoup moins bien, a fortiori sur Zoom ou Teams. Mais aussi car nombre d’entreprises ont joué le jeu d’une transparence économique et sociale maximum pour faciliter le dialogue sur ces sujets nouveaux.
Faut-il alors faire de ces réunions à distance la norme, avec bien sûr d’excellentes raisons: aujourd’hui réduire la contagion, demain la pollution… et les coûts parfois importants liés à ces réunions ? Bien mauvaise idée que ce mode binaire du « tout ou rien » : vive le mode hybride, et le bon sens : s’il s’agit par exemple d’une réunion mensuelle de brève durée, sur des sujets non conflictuels…
A l’inverse, l’ordonnance du 25 novembre 2020 visant le fonctionnement du CSE pendant l’état d’urgence sanitaire a légitimement créé un droit d’opposition aux conférences téléphoniques ou messageries instantanées sur les sujets les plus importants pour la communauté de travail : licenciements collectifs, accord de performance collective, dispositif spécifique d’activité partielle de longue durée (APLD) : au minimum 24h avant la réunion, une majorité des élus du CSE pourra s’y opposer.
Car comme « enseigner » à distance n’est hélas plus « envoyer et percevoir des signes », une réunion du CSE ne peut se résumer à une suite de prises de parole individuelle (surtout lors d’une conférence téléphonique), en dehors d’une dynamique collective débouchant sur la consultation de l’instance elle-même.
A fortiori pour la négociation collective, où l’essentiel ne se passe pas toujours en réunion plénière, même avec l’apparition de débats intersyndicaux en off sur WhatsApp.
L’accord national interprofessionnel sur le télétravail du 26 novembre 2020 a donc maintenu une priorité: «Si l’organisation des réunions sur site du CSE est préférable, il est possible d’organiser certaines d’entre elles à distance en l’absence d’accord spécifique, afin, notamment, de répondre à des situations particulières ». La numérisation des élections professionnelles et des rapports collectifs de travail ne doit pas en effet conduire à un dialogue social virtuel.
Jean-Emmanuel RAY
Professeur de droit privé à Paris 1
Directeur du M2
Paru le 9 Février 2021 – Le Monde